IDENTITÉ et LANGUE NATIONALE

©DEV VIRAHSAWMY AND ICJM

Toute discussion sur la situation linguistique à Maurice se bute toujours sur des a prioris, des assomptions et des idées préconçues qui demontrent d’une ignorance à vous décoiffer. Les clichés et termes inappropriés ne semblent guère gêner car très souvent les mauriciens pensent qu’ils sont tellement doués qu’ils n’ont aucun besoin d’étudier une matière pour se faire une idée juste de la chose. Quelques exemples suffiraient à illustrer ce mal mauricien. On entend souvent même chez des gens supposément eduqués des mot tels que ‘patois’, ‘patois créole’, ‘pidgin’ ou ‘dialecte’ utilisés pou decrire la langue nationale de notre pays qui depuis lontemps aurait dû être connu comme le mauricien. Petite parenthèse, la variété parlée à Rodrigues devrait avoir pour nom le rodriguais.

C’est quoi un ‘patois’? Ce terme a deux sens.  Premièrement un patois est une langue qui se meurt. Le mauricien (creole mauricien) est la langue la plus vivante de notre republique et il n’est certainement pas dans un coma leger ou profond. Le mauricien est la première langue (L1) de 90% de la population. Ensuite il y a le bhojpuri (5%) et le français (3.8%). Les autres langues se partagent les 1.2%. L’autre sens de patois c’est qu’il s’agit d’une langue que parle une minorite qui est obligée de changer de medium linguistique s’il faut communiquer avec le plus grand nombre. Par exemple la generation de mes grands parents parlaient le telougou entre eux mais étaient obligés de changer de langue pour nous parler, nous leurs petits enfants. Même chose s’ils voulaient socialiser avec les non-telegous. Dans ce sens le telougou est, à Maurice mais pas en Inde, un patois. Cette constatation s’applique à la plupart des langues utilisées dan notre pays. Prenons le cas du français. Un mauricien francophone pour qui le français est sa langue maternelle est obligé d’utiliser le mauricien s’il veut être efficace en politique.

Comment justifier qu’il s’agit là d’un dialecte quand le mauricien est composé de dialectes et autres sociolectes comme toute langue qui a atteint un haut niveau de développement. Pir encore! Comment justifier le label ‘pidgin’ quand ce terme signifie un parler sans locuteur natif. 90% des citoyens de la republique sont des locuteurs natifs de cette langue.

GENÈSE

Les colonisateurs et autres esclavagistes disaient de cette nouvelle langue qu’elle n’était qu’une corruption du français, une excroissance qu’il fallait extirper à tout prix. C’était une façon façile de denigrer le locuteur en denigrant sa langue. Ensuite vint les africanistes dont je fis partie dans les années 60 et 70. Nous croyions que la nouvelle langue avait un substrat africain sur lequel est venu se greffer un lexique français. Aujourd’hui notre connaissance des langues créoles de notre région et d’ailleurs a beaucoup evolué. L’hypothèse la plus probable c’est qu’il y avait dans la période post-renaissance dans le bassin méditerranéen un lingua franca que parlait les marins de differentes origines (français, allemands, hollandais, espagnols, portuguais etc.) travaillant à bord du même vaisseau. Les colons qui faisaient le long voyage de la France à Maurice étaient forcés à l’utiliser pour communiquer avec les marins. Ensuite vint le commerce d’esclaves. Il faut se rappeler que la pratique voulait qu’une cargaison d’esclave était faite d’esclaves venant de differents tribus qui ne parlaient pas la même langue pour restriendre toute velleité de revolte. Pour communiquer entre eux et avec les marins il leur fallait utiliser le lingua franca. A partir d’un processus de relexification ce lingua franca devint le créole de Maurice à base lexicale française ou de la Jamaique à base lexicale anglaise tandis que les syntaxes qui s’y developpèrent ont beaucoup en commun. Ce phenomène est fort interessant. L’anglais qui est aussi une langue créole a des caractéristiques syntaxiques que nous retrouvons dans le mauricien tels que l’abandon d’inflexion et l’usage de marqueur de temps et d’aspect dans le syntagme verbal pou indiquer si l’action continue ou est completée.

LE MAURICIEN AUJOURD’HUI

Langue maternelle de 90% des citoyens de la republique, le mauricien a puisé une partie de sa force et de son énergie du français mais nous sommes très loin de l’hypothèse raciste. Analysons d’abord les différents niveaux de la langue.

Phonologie: Des phonèmes vocaliques français tels que /ɛ/comme dan le mot ‘fait’; /ɛː/ comme dans le mot ‘fête’;  /ə/ comme dans le mot ‘ce’;  /œ/ comme dans le mot’soeur’; /ø/ comme dans le mot ‘ceux’;  /y/ comme dans le mot ‘su’; ne sont pas utilisés pour construire des mots mauriciens.

La consonne /ʒ/ comme dans ‘joue’ n’est pas utilisée. Par contre il y a deux consonnes mauriciennes qu’on ne trouve pas en français. Elles sont // comme dans ‘chacha’ and // comme dans ‘jal’.

Syntaxe: Selon certains linguistes bien connu, la syntaxe d’une langue créole est très proche de ce que certains appellent la grammaire universelle avec laquelle nous sommes génétiquement programmés. Une langue à flexion comme le français  est totalement differente d’une langue isolante comme le mauricien. Un verbe français a des dizaines de formes : savoir, sais, sait, savons, savez, savent, savais, sache, su, saurai, saura, saurons etc. Le verbe anglais a cinq formes tout au plus : know, knows, knew, known, knowing. Le verbe mauricien a une forme à l’exception des verbes qui terminent avec la voyelle <e> : kone et konn.

Comparons les règles qui gouverne l’adjectif et nous verrons la différence:

MAURICIEN FRANÇAIS ANGLAIS
enn zoli tifi enn zoli garson bann zoli tifi bann zoli garson enn zoli boug une belle fille un beau garçon des belles filles des beaux garçons un bel homme a beautiful girl a beautiful boy beautiful girls beautiful boys a beautiful guy

Le lexique: Si c’est l’evidence même que la première langue lexificatrice du mauricien est sans aucun doute le français, il ne faut pas conçevoir la relation entre ces deux langues comme celle entre une donneuse active (le français) et une receveuse passive et dépendante (le mauricien). En fait, il existe une dynamique créatrice entre ces deux langues. D’une part le mauricien absorbe des mots français en leur donnant des sens nouveaux tel que le mot ‘madame’ qui en français est un titre qu’on associe à une femme mais qui au fil des années veut aussi dire ‘epouse’ en mauricien. La phrase ‘Mo madam malad’ se traduit ‘Ma femme est malade’ en français. Les lexèmes grammaticaux tels que le marqueur de nombre ‘bann’, les marqueurs du passé ‘ti’ et du futur ‘pou’, le marqueur d’aspect ‘pe’ sont tous d’origine française mais ont une toute autre fonction. Qui plus est, le mauricien de son côte contribue à l’émergence d’un français mauricien comme celui utilisé par l’écrivain Carlo de Souza dans son roman ‘La maison qui voguait vers le large’.

En se développant dans un environnement multiethnique e multiculturelle, la langue mauricienne a absorbé des mots et expressions venant d’autres langues et cultures. Ainsi nous avons des mots d’origine hakka, cantonais, bhojpouri, hindi, tamil, telegou, ourdou, marathi. L’anglais a aussi contribué surtout dans le domaine de l’administration, de l’education formelle, du judiciaire et du parlementarisme. Il faut ajouter à tout cela la créativité endogène, œuvre des locuteurs natifs à l’oral et à l’écrit.

LANGUE À PART ENTIÈRE POUR LA REPUBLIQUE CREOLE

Le mauricien est devenu la langue nationale de facto. Il est partout. On l’entend dans les rues, dans les meetings publiques, dans les lieux de culte ; les textes religieux fondamentaux tels que certains livres de l’Ancient Testament, le Nouveau Testament, le Bhagavad Gita et le Coran sont maintenant disponibles en mauricien ; il existe un corpus littéraire important dans cette langue (poésie, théâtre, prose littéraire); le mauricien est la langue incontournable des grandes créations théatrales (Zozef Ek So Palto Larkansiel, Les Misérables, Godspell etc.) ; il est enseigné à l’école et à l’université ; il est utilisé comme médium d’enseignement dans les classes du PREVOKBEK de l’eglise catholique et dans les classes de littéracie dans les prisons etc.

Si nous voulons construire une nation moderne et progressiste equippée pour faire face aux grands problèmes écologiques, nous serons obligés de l’adopter comme langue nationale de jure et comme medium d’enseignement dans toutes les classes du primaire. L’éducation réformée ne peut se faire sans la reconnaisance de cette langue indispensable au développement et sans une politique linguistique cohérente qui donne au mauricien, à l’anglais et au français leurs places respectives.

L’île Maurice n’est ni la petite France, ni la petite Inde. C’est une île créole façonnée et transformée par des vagues d’immigration et qui pour sa survie doit se forger une nouvelle identité dans un processus dynamique et créateur. Une île créole est définie de la façon suivante : au début elle n’a pas de population autochtone mais, au fil du temps, elle est peuplée par des vagues d’immigrants qui, chacun à sa façon, transforment la faune et la flore de l’île.

Aujourd’hui dans la république créole de Maurice nous avons trois langues créoles : le mauricien, le rodriguais et l’anglais. Et dans cette république ouverte et tolérante, le français a un statut de langue semi-officielle et est devenu la troisième langue par ordre d’importance après le mauricien et l’anglais. Cette république créole est d’une vivacité rare et se sculpte son identite créole lentement et sûrement. C’est ce qui m’a poussé à écrire ce petit poème dans ma langue maternelle qui est aussi notre langue nationale :

NOU TOU KREOL ISI

Zis avan mo somey kase
Mo marenn-fe glis dan mo nam
enn ti-fraz plen ar mister saz,
ki fors mwa reviz mo lespri,
ki fors mwa reget otour mwa
emerveye par seki senp,
telman senp ki nou pa pran kont:
si nou tou isi lor nou lil
nou get bien mem ki nou ete
nou pou gagn sok, gran sok, baba
parski nou tou anverite,
ki nou anvi, nou pa anvi,
nou tou isi, nou tou Kreol,
transplante dan nouvo later.

Endo-Kreol, Afro-Kreol,
Euro-Kreol, Sino-Kreol;
Kreol krwayan, Kreol ate;
Endo-Kreol Endou / Kretien;
Endo-Kreol Mizilman ‘si;
Afro-Kreol Kretien / Rasta;
Afro-Kreol Mizilman ‘si;
Euro-Kreol Kretien / Endou;
Euro-Kreol Mizilman ‘si;
Sino-Kreol Boudist / Kretien;
Sino-Kreol Mizilman ‘si;
Endo-Afro-Euro-Sino
nou tou isi, nou tou Kreol,
transplante dan nouvo later.

Mo pe reve ousa vre-vre
realite anverite
li net-net enn lot kalite?
Sirman enn rev iresponsab.
Sirman enn rev vander lalit.
Melanz sanbrani ar dilar!
Iresponsab jati bechwa!

Mo marenn-fe fer enn sourir,
fer mwa konpran tousa normal,
ki mem si nou tou mem nasion
konfli zame pou arete.
Pou’ena konfli ant de lide,
ant lentere diferan group,
ant lepase ek lavenir,
ant avanse ek rekile …
Akoz samen marenn dir mwa,
fit to kreyon, ouver lizie,
ouver bien gran to de zorey,
les bann kouler ek lamizik
pei Kreol koul dan to nam;
plonz to leker dan santiman
ki sort Ganga, la Seine, la Loire;
les labriz maren kares to seve,
les lapli lete aroz to lipie,
les parfen later mont dan to narinn.
Lerla ar lekritir Kreol
skilpte to idantite
e tras sime to devlopman.

DEV VIRAHSAWMY

23.04.2015

 

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